Par Riman VAN
Résumé
Il ne fait aucun doute que, l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) du 19 juillet 2024, marque un rebondissement dans la bataille juridique qui oppose l’Israël à la Palestine depuis 1967. On note dans cette affaire que, la CIJ a affirmé, sans équivoque, le caractère illicite de l’occupation continue du territoire palestinien par l’Israël.
Ce caractère illégal de l’occupation est reflété dans les politiques et pratiques de l’Etat d’Israël qui, portent atteinte aux principes substantiels de l’« interdiction d’acquisition de territoire étranger par la force », et le « droit du peuple palestinien à l’autodétermination ». En raison des violations alléguées, la Haute juridiction internationale a invité la puissance occupante à respecter le droit international, en mettant fin à sa présence continue dans le Territoire palestinien occupé. Reste à savoir, si cette décision de la Cour (qui relève du droit souple) aura un impact conséquent dans la résolution du conflit ?
Abstract
There is no doubt that the advisory opinion of the International Court of Justice (ICJ) of 19 July 2024 marks a new departure in the legal battle that has pitted Israel against Palestine since 1967. In this case, the ICJ unequivocally affirmed the illegality of Israel’s continued occupation of Palestinian territory.
This unlawful character of the occupation is reflected in the policies and practices of the State of Israel, which violate the substantive principles of the « prohibition of the acquisition of foreign territory by force », and the « right of the Palestinian people to self-determination ». In view of the alleged violations, the High International Court called on the occupying power to respect international law by ending its continued presence in the Occupied Palestinian Territory. It remains to be seen whether this decision by the Court (which is governed by soft law) will have a significant impact on the resolution of the conflict ?
Introduction
En ce mois de juillet 2024, la notion d’« occupation armée » est réapparue dans le débat juridique international, à l’initiative de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU). Se disant préoccupée par la persistance du conflit israélo- palestinien, et les conséquences de celui-ci pour la paix et la sécurité internationales, l’AGNU a introduit une requête auprès de la Cour internationale de justice aux fins de répondre à plusieurs questions concernant la conformité au droit international de l’occupation continue du territoire palestinien par l’Israël, ainsi que les conséquences juridiques qui en découlent.
Ainsi, dans une requête introduite le 20 janvier 2023, résultant de sa résolution A/RES/77/247 adoptée le 30 décembre 2022, dans laquelle, se référant à l’article 65 du Statut de la Cour, l’AGNU prie la Cour internationale de Justice de donner un avis consultatif sur les questions substantielles suivantes : quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ? et Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?[1]
Accordant du mérite à ces interrogations fondamentales, la Cour a, par analogie, souligné le caractère illicite de l’occupation du territoire palestinien par l’Israël depuis 1967 (I), puis, a souligné les conséquences juridiques de ce fait internationalement illicite (II). Il va de soi que, dans le contexte actuel de l’évolution du conflit israélo-palestinien, cette décision aura une portée essentielle pour la « résolution » de ce conflit (III).
I. Le caractère illicite de l’occupation israélienne
Dans cette Affaire, peut-on observer dans le raisonnement de la Cour internationale de justice, une volonté patente de faire prévaloir le respect du droit international face à la politique de la canonnière des Etats. D’entrée de jeu, la Cour affirme sans peine le caractère illicite de l’occupation continue du territoire palestinien par l’Etat d’Israël. Ce caractère illicite est reflété dans la violation de deux principes substantiels du droit international, à savoir : le principe interdisant l’ « acquisition de territoire par la force » d’une part, et le principe « des peuples à l’autodétermination », d’autre part.
S’agissant de la violation du premier principe – faut-il souligner qu’une occupation armée se caractérise, de par, sa nature même, par un emploi continu de la force en territoire étranger. Cet emploi de la force est soumis aux règles de droit international régissant la licéité de l’emploi de la force, ou jus ad bellum.[2]
Aux termes de l’article 42 du Règlement de La Haye de 1907, « un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer ». Comme c’est le cas de manière générale dans le droit international des conflits armés, c’est le principe de l’effectivité qui est ici privilégié. Ainsi, selon Sylvain Vitré, « la définition de l’occupation ne repose pas sur la perception subjective d’une situation par les parties concernées, mais sur une réalité saisissable objectivement : la soumission de facto d’un territoire et de sa population à l’autorité d’une armée ennemie [3]».
Sans prétende à une analyse exhaustive de la notion d’occupation armée dans le cadre de ce travail ; il importe toutefois de préciser que ce régime se caractérise, dans les grandes lignes, par deux principes généraux, à savoir, l’obligation de respecter les droits de la personne et le maintien du statu quo territorial et législatif. Le premier principe a été concrétisé par une multitude de règles qui interdisent, par exemple, le territoire occupé, la destruction des biens mobiliers ou immobiliers, etc.[4]
Le second prévoit que l’occupation ne modifie pas le statut du territoire concerné, en particulier qu’elle n’aboutit pas au transfert de souveraineté.[5] L’article 47 de la IVe Convention de Genève dispose à cet effet que, «les personnes protégées qui se trouvent dans un territoire occupé ne seront privées, en aucun cas ni d’aucune manière, du bénéfice de la présente Convention, soit en vertu d’un changement quelconque intervenu du fait de l’occupation dans les institutions ou le gouvernement du territoire en question, soit par un accord passé entre les autorités du territoire occupé et la Puissance occupante, soit encore en raison de l’annexion par cette dernière de tout ou partie du territoire occupé». Ainsi, cette disposition consacre l’intangibilité des droits dans les territoires occupés, une situation où le danger de pressions sur la population civile adverse est particulièrement aigu.
Par ailleurs, les règles régissant le régime de l’occupation armée en droit international, interdisent l’emploi de la force pour acquérir une ou toute une partie d’un territoire étranger. C’est ce qu’a affirmé la Cour internationale de justice dans cette Affaire. Selon la CIJ : « au regard du droit international contemporain tel que contenu dans la Charte des Nations Unies et reflété dans le droit international coutumier, l’occupation ne peut, en aucun cas, être à l’origine d’un titre sur un territoire ou justifier l’acquisition de celui-ci par la puissance occupante ».
Par ce raisonnement, la Cour confirme le principe de l’interdiction de l’« acquisition de territoire étranger par la force » – et partant, en déduit que, « l’affirmation par Israël de sa souveraineté sur certaines parties du Territoire palestinien occupé et l’annexion de celles-ci constituent une violation de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force ». Cette violation a un impact direct sur la licéité de la présence continue d’Israël, en tant que puissance occupante, dans ledit territoire. La Cour estime dès lors, qu’Israël n’a pas droit à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé et, ne saurait y exercer des pouvoirs souverains du fait de son occupation.
Par ailleurs, la Cour a rejeté l’argument de l’Etat d’Israël visant à justifier l’occupation continue, en invoquant la sécurité de ses frontières. La Cour estime, à cet effet, que les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne sauraient non plus l’emporter sur le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force. La Cour confirme ainsi que le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force ne peut connaître aucune dérogation, même pour des raisons de sécurité. Car tout fait internationalement illicite résultant de la violation de l’obligation de « non-acquisition » de territoire étranger par la force, porte également atteinte au droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
Sur la violation du droit à l’autodétermination – La Cour internationale de justice affirme d’emblée, son attachement au principe de l’autodétermination des peuples, et partant – souligne la « fondamentalité » du principe pour le peuple Palestinien. Elle constate à cet effet que, « l’existence du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ne saurait être soumise à conditions par la puissance occupante, étant donné qu’il s’agit d’un droit inaliénable ». De ce fait, la Cour a indiqué que les pratiques et politiques de l’Etat d’Israël visant à affirmer sa souveraineté sur le territoire occupé de la Palestine sont de nature illicites – si bien qu’elles constituent une violation du droit fondamental du peuple palestinien à l’autodétermination.
La CIJ souligne par ailleurs que, « cette illicéité s’applique à l’intégralité du territoire palestinien occupé par Israël en 1967. Il s’agit là de l’entité territoriale dans laquelle ce dernier a imposé des politiques et pratiques visant à entamer et à entraver la capacité du peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination, tout en étendant sa souveraineté sur de vastes zones de ladite entité en violation du droit international. Le Territoire palestinien occupé dans son intégralité est aussi le territoire à l’égard duquel le peuple palestinien devrait pouvoir exercer son droit à l’autodétermination et dont l’intégrité doit être respectée [6]».
Enfin, la Cour conclut que, « la conclusion selon laquelle la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite ne libère pas cet État des obligations et responsabilités que le droit international, et plus particulièrement le droit de l’occupation, lui impose envers la population palestinienne et d’autres États en ce qui concerne l’exercice de ses pouvoirs relativement au territoire en question jusqu’à ce qu’il soit mis fin à sa présence sur celui-ci. C’est le contrôle effectif d’un territoire, quel que soit son statut juridique en droit international, qui constitue le fondement de la responsabilité de l’État à raison de ses actes ayant une incidence sur la population dudit territoire ou sur d’autres États [7]».
La Cour était parvenue à la même conclusion dans l’Affaire Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie. Dans cette Affaire, la CIJ conclut que, nonobstant le caractère illicite de l’acquisition de territoire par la force, la puissance occupante est tenue de respecter ses obligations internationales. Elle a indiqué, par exemple que, « les obligations découlant des faits internationalement illicites d’Israël ne dispensent pas la puissance occupante de son devoir continu de s’acquitter des obligations internationales auxquelles contrevient son comportement [8]». En d’autres termes, Israël demeure tenu d’observer l’obligation qui lui incombe de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, et les obligations auxquelles il est tenu au regard du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme.[9]
La violation de ces obligations, ainsi que la violation continue de l’obligation de non-acquisition de territoire étranger par la force, de même que la violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, entraine des conséquences juridiques sérieuses pour la puissance occupante et la communauté internationale dans son ensemble (II).
II. Les conséquences juridiques de l’illicéité
Dans l’ordre juridique international, il ne fait aucun doute que la violation d’une obligation internationale entraine assurément des conséquences juridiques importantes pour l’Etat responsable, pour les Etats tiers, ainsi que pour les organisations internationales.
Les conséquences juridiques pour l’Etat responsable – il va de soi que la première conséquence juridique de la violation d’une obligation internationale a trait à la responsabilité internationale de l’Etat auteur du fait illicite. Ainsi, qu’il ressort de l’article premier du projet d’articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité des Etats, « tout fait internationalement illicite de l’Etat engage sa responsabilité internationale [10]».
Le principe posé par l’article premier est pleinement reconnu par la jurisprudence, en tant que principe « directeur » de la responsabilité internationale des Etats. La Cour permanente de Justice internationale (CPJI) a appliqué le principe dans plusieurs affaires antérieures. Ainsi, dans l’affaire des Phosphates du Maroc, elle a affirmé que, lorsqu’un État commet un fait internationalement illicite à l’encontre d’un autre État, la responsabilité internationale s’établit « directement dans le plan des relations entre ces États ». La Cour internationale de Justice a elle aussi fait application du principe à diverses reprises, par exemple dans les affaires du Détroit de Corfou, des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, et du Projet GabčÌkovo-Nagymaros. La Cour a également invoqué ce principe dans ses avis consultatifs sur la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies et sur l’Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie (deuxième phase), où elle a déclaré qu’«il est clair que le refus de s’acquitter d’une obligation conventionnelle est de nature à engager la responsabilité internationale ».
Par ailleurs, toute violation d’une obligation internationale, en plus d’engager la responsabilité internationale de l’Etat responsable, oblige celui-ci à y mettre fin, et à cesser toute politique ou pratique qui maintiennent la violation. C’est ce qui ressort de l’article 30-a du projet d’articles de la CDI. Selon les dispositions de cet article : « l’Etat responsable du fait internationalement illicite a l’obligation d’y mettre fin si ce fait continue ». De même, dans son commentaire relatif à l’article 30, la Commission souligne la portée lege de l’application de cet article – et considère en effet que, « la cessation s’applique à tous les faits illicites qui se prolongent dans le temps, que le comportement de l’Etat auteur soit une action ou une omission (…) puisqu’il peut y avoir cessation dans une abstention d’agir[11] ». En sus, dans l’affaire du Rainbow Warrior, le Tribunal arbitral a indiqué que, « deux conditions essentielles étroitement liées entre elles devaient être réunies pour que naisse l’obligation de cessation du comportement illicite, à savoir que l’acte illicite ait un caractère continu et que la règle violée soit toujours en vigueur au moment de l’émission de cette ordonnance[12] ».
Dans la présente décision, la Cour revient sur le principe de la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, et partant, conclut que « la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé constitue un fait illicite qui engage la responsabilité internationale de cet État ». Ce fait illicite à caractère continu a été causé par les violations de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et du droit à l’autodétermination du peuple palestinien qu’Israël a commises par ses politiques et pratiques. Par conséquent, la Cour indique que, Israël à l’obligation de mettre fin à sa présence continue dans le Territoire palestinien occupé dans les plus brefs délais[13] ». Comme la Cour l’a indiqué dans son avis consultatif sur le Mur, l’obligation d’un État responsable d’un fait internationalement illicite de mettre fin à celui-ci est bien établie en droit international général.[14] De ce fait, elle s’applique à tout Etat, responsable de la violation d’une obligation internationale à sa charge, y compris l’Etat d’Israël en raison du caractère illicite de l’occupation des terres palestiniennes.
Sur cette base, la Cour a invité la puissance occupante à mettre fin immédiatement à ses politiques et pratiques jugées illicites – en cessant immédiatement toute nouvelle activité de colonisation. Israël est, dès lors, tenu d’abroger toutes lois et mesures créant ou maintenant la situation illicite, y compris celles qui sont discriminatoires à l’égard du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que toutes mesures destinées à modifier la composition démographique de quelque partie de ce territoire.[15]
Au surplus, la Cour a rappelé le principe essentiel selon lequel, tout fait internationalement illicite résultant de la violation d’une obligation internationale qui cause dommage à un Etat tiers ou à la communauté internationale dans son ensemble, oblige l’auteur de la violation à réparer le dommage causé par son fait illicite.[16] Selon la Cour, « la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis. En application de ce principe, l’Israël a l’obligation de réparer intégralement les dommages causés par ses faits internationalement illicites à toutes les personnes physiques ou morales concernées. La réparation comprend la restitution, l’indemnisation ou la satisfaction.[17]
Sur les formes de réparations la CIJ apporte des précisions suivantes : La restitution inclut l’obligation pour Israël de restituer les terres et autres biens immobiliers, ainsi que l’ensemble des avoirs confisqués à toute personne physique ou morale depuis le début de son occupation en 1967, et tous biens et bâtiments culturels pris aux Palestiniens et à leurs institutions, y compris les archives et les documents. La Cour exige également que tous les colons des colonies de peuplement existantes soient évacués, que les parties du mur construit par Israël qui sont situées dans le Territoire palestinien occupé soient démantelées, et que tous les Palestiniens déplacés durant l’occupation puissent retourner dans leur lieu de résidence initial.[18]
La Cour précise, en outre, au cas où pareille restitution se révélerait matériellement impossible, Israël serait tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables, toutes les personnes physiques ou morales et les populations de tous dommages matériels qui leur auraient été causés par les faits illicites qu’il a commis pendant l’occupation.[19]
Concernant les conséquences juridiques pour les autres Etats – La Cour rappelle d’emblée, l’obligation qu’incombe aux Etats de protéger les obligations erga omnes. Elle souligne à cet égard, comme elle a pu le faire dans l’Affaire de la Barcelona Traction, que ces obligations, de par leur nature même, « concernent tous les États » et, « vu l’importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés [20]». Il se trouve que, parmi les obligations erga omnes auxquelles Israël a manqué figurent celle de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et celle qui découle de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, ainsi que certaines obligations incombant à Israël au regard du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme.[21] De ce fait, la Cour a invité les Etats à coopérer afin de mettre fin à la violation de ces obligation erga omnes.
Ainsi, faisant sienne les résolutions du conseil de sécurité et de l’Assemblée Générale des Nations Unies, la CIJ, a indiqué que les Etats sont tenus de ne reconnaître aucune modification du caractère physique ou de la composition démographique, de la structure institutionnelle ou du statut du territoire occupé par Israël le 5 juin 1967, y compris Jérusalem-Est, autres que celles convenues par les parties par voie de négociations, et de faire une distinction, dans leurs échanges avec Israël, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967.[22]
En outre, les Etats ont l’obligation de distinguer, dans les échanges avec Israël, entre le territoire propre de cet État et le Territoire palestinien occupé. Cette obligation de distinction englobe notamment l’obligation de ne pas entretenir de relations conventionnelles avec Israël dans tous les cas où celui-ci prétendrait agir au nom du Territoire palestinien occupé ou d’une partie de ce dernier sur des questions concernant ledit territoire ; de ne pas entretenir, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé ou des parties de celui-ci, de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire ; ils doivent s’abstenir, dans l’établissement et le maintien de missions diplomatiques en Israël, de reconnaître de quelque manière sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé ; et de prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé.[23]
Enfin, compte tenu de la nature et de l’importance des droits et obligations en cause, la Cour exige de tous les États de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. Ils sont également tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence. Tous les États doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin à toute entrave à l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination résultant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.[24]
S’agissant des conséquences juridiques pour les Organisations internationales – la Cour a rappelé aux organisations internationales, y compris l’organisation des Nations unies et ses institutions spécialisées, leur devoir de non-reconnaissance à l’égard des situations résultant des violations graves des obligations erga omnes.[25] Elle a indiqué, en ce sens qu’ « étant donné la nature et l’importance des obligations erga omnes que met en jeu la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’État d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et l’obligation de distinguer, dans les rapports avec Israël, entre le territoire de celui-ci et le Territoire palestinien occupé s’appliquent également à l’Organisation des Nations Unies ».
Ainsi, l’organisation des Nations unies, ainsi que toutes les organisations internationales ne devraient aucunement reconnaître le territoire palestinien occupé comme appartenant à l’Etat d’Israël, et partant, devraient coopérer afin de mettre fin à la violation du droit international par l’Israël. Cette dernière considération qui sonne comme un appelle à la solidarité internationale afin de redonner force au droit international, illustre la portée essentielle de cette décision (III).
III. La portée essentielle de la décision
Il ne fait aucun doute que, dans le contexte actuel de l’évolution du conflit qui oppose l’Israël à la Palestine, l’avis de la Haute juridiction internationale dans cette affaire, marque un tournant décisif, mieux, un « rebondissement » dans la résolution du conflit israélo-palestinien qui dure depuis 1967. De même, par cette décision, la Cour internationale de justice « réhabilite » le droit international suffisamment malmené par l’attitude incandescente de certains Etats. Abordant dans le même sens, professeur Alain PELLET, représentant de la Haute Autorité Palestinienne dans l’Affaire, accueille la décision de la CIJ avec enthousiasme : « la cour internationale de justice (CIJ) redore le blason du droit international malmené par ailleurs[26] », a-t-il déclaré.
Sur l’impact de la décision pour la résolution du conflit, et le respect du droit international, la Cour souligne sans peine le caractère illicite de la présence d’Israël sur le territoire de la Palestine occupé, et partant, met en évidence combien, les politiques et pratiques illicites de la puissance occupante affectent l’application du droit international. Au vu des conséquences de la violation du droit international pour la paix et la sécurité internationales, la Cour a rappelé aux Etats et aux organisations internationales, leurs devoirs intrinsèques de ne pas reconnaître une situation née de la violation « grave » d’une obligation erga omes ou d’une norme de jus cogens, comme c’est le cas en l’espèce. Dès lors, ils doivent coopérer pour mettre fin à l’occupation israélienne, et faire respecter le droit international.
L’obligation de « coopération » apparait à l’article 41 du projet d’articles de la Commission de droit international sur la responsabilité des Etats, adopté en 2001. Aux termes des dispositions de cet article : « les Etats doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40[27] ». Selon le commentaire de la Commission de droit international relatif à cet article, « il s’agit d’une obligation juridique spéciale qu’ont les Etats face à des violations graves au sens de l’article 40 ».[28] En revanche, cette obligation de coopérer doit s’exercer par des moyens licites, dont le choix dépend des circonstances de l’espèce, insiste la Cour. La Cour indique également que l’obligation de coopérer s’applique à tous les Etats, qu’ils aient été ou non directement touchés par la violation grave. Ainsi, face à des violations graves, un effort concerté et coordonné de tous les Etats s’impose pour en contrecarrer les effets.[29]
Cependant, faut-il souligner que l’obligation de coopérer doit s’exercer dans un cadre légal. Au surplus, elle doit être confiée à une autorité légale chargée du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Or, conformément à la charte des Nations unies, le conseil de sécurité et l’Assemblée générale sont les seules autorités compétentes pour prendre des mesures pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. C’est ce qu’affirme la CIJ en précisant que, la question des modalités pour qu’il soit mis fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé doit être traitée par l’Assemblée générale, qui a sollicité le présent avis consultatif, ainsi que par le Conseil de sécurité. En conséquence, c’est à ces deux organes qu’il appartient de rechercher quelles mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin à la présence illicite d’Israël, compte tenu du présent avis consultatif.[30]
Ce faisant, la Haute juridiction internationale invite les institutions internationales en charge du maintien de la paix et de la sécurité internationales, à prendre les mesures nécessaires pour mette un terme à la violation du droit international par l’Israël – et partant, rétablir le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
Notes
[1] Voir : CIJ, Avis consultatif du 19 juillet 2023, conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem – Est
[2] L’essentiel du régime juridique de l’occupation militaire figure dans le Règlement annexé à la IVe Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, la IVe Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et le Protocole additionnel I de 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. Voir : Sylvain VITRE, « L’applicabilité du droit international de l’occupation militaire aux activités des organisations internationales », IRRC, Vol.86, mars 2004, p.11.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p.14.
[5] Ibid., p.15.
[6] Voir : CIJ, Avis consultatif du 19 juillet 2024, op.cit, par.262.
[7] Ibid., par.164.
[8] Ibid.
[9] Ibid., par.272. Voir également CIJ, Avis consultatif, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197, par. 149
[10] Voir : Projet d’articles de la commission de droit international (CDI) sur la responsabilité des Etats, p. 388.
[11] Voir précisément, le commentaire de la CDI relatif à l’article 30 du projet d’articles sur la responsabilité des Etats, par.2, p.233.
[12] Ibid. Voir également : Tribunal arbitral, Affaire Rainbow Warrior, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XX (1990), p. 270.
[13] Voir : CIJ, Avis consultatif du 19 juillet 2024, op.cit, par.267. La CIJ avait soutenu le même argument dans un avis consultatif de 1965, effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice.
[14] CIJ., Avis consultatif, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197, par. 150).
[15] Voir : CIJ, Avis consultatif du 19 juillet 2024, op.cit, par.268.
[16] Voir précisément l’article 31 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité des Etats : « 1. L’Etat responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite. 2. Le préjudice comprend tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait internationalement illicite de l’Etat ».
[17] Voir aussi l’article 34 du projet d’articles de la CDI : « La réparation intégrale du préjudice causé par le fait internationalement illicite prend la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement, conformément aux dispositions du présent chapitre ».
[18] Voir : CIJ, Avis consultatif du 19 juillet 2024, op.cit, par.270.
[19] Ibid., p.271.
[20] Ibid., par .274. Voir également : CIJ , Arrêt, (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) . Voir aussi, Affaire Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33).
[21] Ibid.
[22] Voir : Avis consultatif du 19 juillet 2024, par.278.
[23] Ibid.
[24] Ibid., par.279.
[25] Ibid., par. 280.
[26] Voir : Journal le monde, In l’interview accordée à Alain PELLET.
[27] L’article 40 relatif à l’application du chapitre III intitulé « violations graves d’obligations découlant des normes impératives du droit international général », prévoit : « 1.Le présent chapitre s’applique à la responsabilité internationale qui résulte d’une violation grave par l’Etat d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général. 2. La violation d’une telle obligation est grave si elle dénote de la part de l’Etat responsable un manquement flagrant ou systématique à l’exécution de l’obligation ». Voir le projet d’articles de la Commission de droit international sur la responsabilité des Etats, projet final adopté en 2001.
[28] Voir précisément le commentaire de la CDI relatif à l’article 41 du projet d’articles sur la responsabilité des Etats, p.308.
[29] Ibid.
[30] Voir : Avis consultatif du 19 juillet 2024, op.cit, par. 281.
Bibliographie
Ouvrages et articles
- Alain PELLET et al., La charte des nations unies : commentaire articles par article, Economia, 1985, pp.1553.
- Maurice KAMTO, Agression en droit international, A.Pedone, Mars 2010, pp.464.
- Miles JACKSON, Complicity international law, Oxford, pp.240.
- Thibaut Fleury GRAFF, Manuel de droit international public, puf, Tome 2, pp.272.
- Fran9ois DUBUISSON, « Les conséquences de l’avis de la CIJ relatif à l’occupation du territoire palestinien », YAANI.
- Sylvain VITRE, « L’applicabilité du droit international de l’occupation militaire aux activités des organisations internationales », IRRC, Vol.86, mars 2004.
Jurisprudences
- CIJ, Avis consultatif du 19 juillet 2024, conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem – Est
- CIJ, Avis consultatif, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197.
- CIJ, Avis consultatif de 1965, effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice.
- CIJ, Arrêt, (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) .
- CIJ, Affaire Belgique c. Espagne, deuxième phase, arrêt, Recueil 1970.
- Tribunal arbitral, Affaire Rainbow Warrior, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XX (1990), p. 270.
Instruments juridiques internationaux
- Annuaire de la commission de droit international de 2001.
- Annuaire de la commission de droit international de 1999.
- La IVe Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et le Protocole additionnel I de 1977 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux.
- Règlement annexé à la IVe Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre
- Le Projet d’articles de la commission de droit international (CDI) sur la responsabilité des Etats, adopté par l’Assemblée Générale en 2001, et commentaire y relatif.